Les crêtes de Lure

 Prenez de la hauteur et admirez les prémices des plissements alpins

Un maillon de l’histoire des Alpes ….

Au Crétacé supérieur, la déchirure de l’Atlantique sud sépare complètement l’Amérique du sud de l’Afrique. Le bloc africain, également séparé de l’Antarctique, est refoulé vers le nord. Il se rapproche du bloc Europe-Asie en écrasant l’espace océanique de la Téthys et de ses dépendances.

La fin de l’océan alpin et de la Téthys tout entière est annoncée. La croûte océanique plonge par subduction sous la plaque Apulienne qui est une microplaque au nord de l’Afrique.

La disparition de l’espace océanique ne se produit pas partout au même moment, elle s’étale sur plusieurs dizaines de millions d’années (entre -90 et -35 million d’années).

La plaque ibérique (Espagne, Sardaigne, Corse) coulisse vers l’est au cours du Crétacé supérieur avant de venir s’incruster, poussée par l’Afrique lors de la collision, dans la marge sud de l’Europe (sud de la future France). Ces évènements tectoniques vont donner naissance à une grande chaîne de montagnes : la chaîne pyrénéo-provençale. La Basse Provence est alors intensément déformée.

Les « Alpes de Haute-Provence », situées à l’extérieur de la chaîne, sont nettement moins affectées. Néanmoins, elles sont plissées, émergées et soumises à une forte érosion.

Cette phase pyrénéo-provençale est cruciale dans la construction des paysages ultérieurs, et la montagne de Lure est en partie héritée de ces premiers reliefs.

Barrière paysagère actuelle entre les Baronnies et la Provence, dans l’alignement du Mont Ventoux, la montagne de Lure est un grand pli est-ouest dont il ne reste plus, excepté à proximité de Sisteron, que le flanc sud formé d’un grand versant.

La crête de Lure est bordée au nord par un grand accident régional, qui marque entre autre la limite entre les pays provençaux (dont Lure) et les Baronnies. En géologie, un accident est une surface de contact anormale comme une faille, un décrochement ou un charriage. Depuis la crête de Lure, l’ensemble du paysage qui s’ouvre au nord est typiquement organisé selon une direction est-ouest en plis très serrés contrairement à ce qu’on observe au sud de la montagne.

Les plis provençaux seront remobilisés lors des plissements paroxysmaux alpins : toujours de direction est-ouest mais cette fois poussés vers le sud. Le compartiment des Baronnies passe sous la montagne de Lure qui le chevauche.

… en lien avec 22 autres géosites

La limite nord de la chaîne de Ventoux-Lure correspond à un très vieil accident tectonique remis en mouvement par la surrection alpine.  

Il y a environ -130 millions d’années, cet accident limitait une plateforme marine peu profonde au sud dans laquelle se sont développés les calcaires urgoniens du Barrémien visibles, par exemple, dans les gorges d’Oppedette.

Au nord, le bassin marin plus profond, appelé Bassin vocontien, servait de réceptacle à quantité de sédiments qui ont formé d’épaisses séries où alternent des couches calcaires et des couches marneuses. On peut observer au lac de Castillon ces remarquables séries fossilifères (ammonites) et leurs alternances marnes-calcaires.

A l’époque où la mer miocène (-20 à -15 millions d’années) occupait le golfe marin de Digne-Esclangon, le massif du Ventoux-Lure formait une ou deux îles émergeant des flots de la mer alpine (bras de mer ouvert sur la Méditerranée occidentale).

Ce que l’on peut décrypter du paysage actuel

Les calcaires barrémiens du sommet de Lure ont pris de l’altitude depuis 130 millions d’années. Ils ont, au cours des glaciations quaternaires, été fortement impactés par la rudesse du climat et le voisinage proche du grand glacier durancien.

Couverts de névés, les calcaires du sommet ont éclaté sous l’action du gel (gélifraction) donnant naissance à de grandes étendues de dalles éclatées (crête et versant) et d’importants éboulis sur la pente abrupte du nord. Bien que les conditions ne soient plus comparables, la crête, longtemps enneigée et balayée par le mistral, reste exposée à de forts écarts thermiques qui continuent de faire éclater la roche.

Une petite anecdote ?

Les roches gélives ne sont pas bonnes pour la construction. Pourtant, le découpage naturel du calcaire en petite dalles a facilité leur utilisation pour réaliser des constructions en pierres sèches.

En témoigne un patrimoine singulier que l’on peut admirer en parcourant la montagne de Lure : de magnifiques bergeries et leurs voûtes, d’anciens cairns marquant les sentiers…

Jean Giono appelait ces petites dalles « les pierres qui chantent » du fait du doux crissement qu’elles produisent lorsqu’on y marche dessus…

Pour marquer le passage à l’an 2000, un immense cairn a été édifié où se mêlent les pierres de Lure à celles apportées du monde entier par les randonneurs-bâtisseurs.