Les grés d’Annot

 Des avalanches de sable sous la mer

Un maillon de l’histoire des Alpes …. 

La collision des blocs continentaux de l’Europe (Eurasie) et de l’Apulie (au nord de l’Afrique), commencée vers -35 millions d’années, se poursuit. Les reliefs alpins se développent à l’est, à l’emplacement actuel du nord de l’Italie. La mer qui borde la chaîne alpine naissante, à l’ouest et au nord, s’approfondit peu à peu en raison des mouvements de la croûte continentale issus de la collision. L’érosion attaque les massifs émergés et entraine de plus en plus de dépôts vers la mer, jusqu’à son comblement.

Vers -35 millions d’années, les fonds marins ont connu le dépôt des calcaires nummulitiques. Ils se sont ensuite enrichis en argiles, puis, progressivement, en sables de plus en plus abondants. Ces sables se sont transformés en une roche dure, les grès, par cimentation des grains entre eux, grâce à un liant dont la composition peut varier (calcaire, siliceux, argileux…).

Cette succession de calcaires, marnes et grès est qualifiée de ‘trilogie’ par les géologues et reflète l’histoire de cette mer.

Les Grès d’Annot ont pris naissance dans cette mer au cours de son comblement (phase 3 de la ‘trilogie’, entre -34 et -30 millions d’années). Ces grès portent le nom de la localité où ils ont été décrits par les géologues. S’ils sont particulièrement bien représentés et accessibles autour du village d’Annot, ils occupent en réalité une très large distribution géographique, depuis le massif de l’Estrop au nord-ouest, jusqu’au sud du Mercantour (Peira-Cava).

L’aspect des couches de grès, leur organisation entre elles, leur épaisseur, l’organisation des grains, la géométrie des dépôts sont autant d’informations qui permettent aux géologues de comprendre la mise en place de ces masses de sables.

Ainsi, les couches de grès d’Annot ont été interprétées comme des arrivées massives de sables au fond de la mer par un processus d’avalanches sous-marines. Les sables (et autres matériaux, argiles, galets, graviers…), issus de l’érosion des reliefs continentaux se sont accumulés dans les zones de talus côtiers.

Rappelons qu’à l’époque, le contexte de tectonique est actif, les séismes sont fréquents. Les talus sableux ébranlés par ces séismes sont sujets aux glissements en masse. Des paquets sableux sont emportés et mis en mouvement dans l’eau, sous forme d’avalanches. La hauteur de la tranche d’eau, la topographie du fond, la masse mise en mouvement, la taille des grains transportés, sont autant de facteurs qui vont influencer la dimension et l’organisation du corps sédimentaire qui prend place en aval.

Un banc de grès présente, classiquement, les éléments les plus gros à sa base (galets, graviers), puis progressivement, vers le haut, des sables de plus en plus fins prennent place et, pour finir, des argiles. Chaque strate de ce type peut avoir plusieurs mètres d’épaisseur. Elle est le résultat d’un seul événement, bref, éphémère.

Mais d’où viennent tous ces sables ?

De la zone source vers l’aval, les couches de grès perdent en épaisseur et s’étalent en éventails sur des kilomètres de distance. L’organisation des dépôts montre que la source du matériel se situe vers le sud-est, et la composition des grains de sable révèle que les roches soumises à l’érosion ressemblent fortement à celles de la Corse !

Aujourd’hui, cette zone source a disparu. Entre -40 et -30 millions d’années, la chaîne de montagne pyrénéo-provençale, ou pyrénéo-corso-sarde, en cours d’érosion, existait à l’emplacement actuel de la mer Méditerranée. Des rivières charriaient vers le nord, c’est-à-dire, jusqu’à la mer à l’époque, les produits de l’érosion qu’on retrouve  dans les Grès d’Annot.

De cette époque à aujourd’hui, le paysage s’est totalement inversé !

… en lien avec les Eaux-Tortes et  le Lac d’Allos

Les grès d’Annot forment la remarquable pile sédimentaire qui couronne le massif de l’Estrop et son sommet (2961 m). De là, les grandes dalles de grès plongent vers la vallée de la Blanche de Laverq. Le glacier de la Blanche a creusé dans ces grès les dépressions, aujourd’hui tourbeuses, des Eaux Tortes. Au Lac d’Allos, les magnifiques tours ruiniformes sont sculptées également dans les grès d’Annot.

 La légende de la chambre du roi

Les grandes falaises de grès et les immenses rochers creusés et sculptés par l’érosion ou disséminés peut-être par l’effondrement qui créa jadis ce chaos, ont dû, certainement, pour beaucoup, aider à l’imagination populaire et à la naissance de légendes qui sont nombreuses dans le « Pays d’Annot »,  la plus populaire étant celle de la Chambre du Roi.

Cela se passait au temps où les siècles n’avaient encore qu’un chiffre… C’était encore du temps où les Sarrasins qui écumaient la Basse-Provence arrivaient parfois à faire de brèves incursions dans nos contrées… Sigummana, c’était l’ancien nom d’Annot, quand nos lointains ancêtres, formés en tribu, habitaient le quartier de Vers-la-Ville, a toujours été fidèle à la foi catholique et à l’Eglise romaine. Aussi, un jour du 9ème siècle, un Seigneur chrétien de Basse-Provence, accompagné de sa douce princesse et de quelques vassaux, poursuivi par une horde d’infidèles, demanda asile au Seigneur de Sigummana, Hermérincus.

L’ayant obtenu, il se vit octroyer comme refuge suprême, une grotte dans la fin de la barre rocheuse, dominant les vallées où les eaux de la Vaïre et du Coulomp se mêlent.

Cette grotte se trouve à l’entrée d’un cirque rocheux naturel, dont l’étroit passage permet, au moyen de branches et de roches, de le dissimuler, permettant de garder cette cachette secrète aux envahisseurs.

Les Sarrasins cherchèrent en vain la trace de nos protégés, se retirèrent, mais promirent l’éternité pour les retrouver.

Nos hôtes vécurent ainsi quelques temps sous notre ciel, partageant dès lors, nos coutumes et nos mœurs, avant qu’un traître ne vînt dévoiler la cachette à quelque émissaire hérétique.

Le lendemain, les infidèles revinrent en nombre, découvrirent le royal repaire et mirent à mort le prince, sa tendre compagne et toute leur Cour ; ils furent enfin projetés dans le vide du suprême éperon rocheux appelé depuis « balcon du Roi ».

Ils n’eurent que le temps d’achever leur forfait, qu’ils s’éparpillèrent dans Sigummana, pour y pourfendre les malheureux habitants, complices selon eux, d’avoir donné refuge à leurs ennemis. C’est alors que, sauvant nos ancêtres d’une hécatombe, la peste se déclara dans les rangs des Sarrasins ; ceux d’entre eux qui n’étaient pas encore atteints se seraient enfuis avant de mettre leur projet à exécution… On dit aussi que l’épidémie se serait arrêtée, comme par miracle…

C’est depuis cette époque que cette grotte et le quartier ont pris le nom de « Chambre du Roi » ; nous trouvons aussi les « jardins du Roi »…

http://www.annot-histoire.com