Les Eaux-Tortes, le vallon du Laverq

Les nappes de charriage, ou quand les montagnes se rencontrent

Un maillon de l’histoire des Alpes…

Avec la collision, les deux plaques tectoniques Europe et Apulie s’affrontent. A partir de la fin de l’Eocène et à l’Oligocène (vers -35 à -25 millions d’années), la collision atteint son paroxysme dans la partie est des Alpes. Cette phase paroxysmique va progresser dans le temps vers l’ouest, pour gagner plus tardivement les futures Alpes du sud et les chaines subalpines.

Le chevauchement de la micro-plaque apulienne sur celle de l’Europe provoque d’intenses déformations tectoniques. Au cours de la fermeture de l’espace entre les deux continents, le fond océanique et les marges continentales sont poussés vers le nord et l’ouest. Les piles sédimentaires qui y sont déposées se déplacent donc dans un premier temps sous l’eau (Crétacé supérieur/début du Tertiaire).

Ces grands ensembles sédimentaires et tectoniques peuvent se déplacer sur de grandes distances.

Lorsqu’ils viennent en superposition sur d’autres couches plus stables en bordure de la chaîne plissée (c’est-à-dire sur un avant-pays), on les appelle des nappes de charriage.

En partie démantelées dans la zone frontale, ces premières nappes sous-marines génèrent quantité de blocs et toutes sortes de mélanges sédimentaires. Ce sont ces matériaux qui se superposent aux grès d’Annot.

Les nappes de charriage arrivent au cours de l’Oligocène (vers -30 à -25 millions d’années) dans les environs de Barcelonnette et d’Allos. Elles comblent l’espace marin qui est alors remplacé par des terres émergées. Les nappes suivantes vont avancer, cette fois-ci à l’air libre, pour s’empiler les unes sur les autres jusqu’à la fin du Miocène (vers -7 millions d’années). Elles feront leur dernier voyage au Pliocène sur le dos de la nappe de Digne (vers -5 à -3 millions d’années).

Le site des Eaux-Tortes offre une très belle vue sur le front de ces nappes dites « internes ». Ce terme désigne ici un ensemble de zones tectoniques et sédimentaires qui se sont très largement déplacées, de centaines ou de milliers de kilomètres. On les oppose aux zones externes qui se sont moins déplacées par rapport à l’avant-pays (les massifs cristallins comme l’Argentera-Mercantour, et leurs couvertures sédimentaires que sont les chaînes subalpines).

Les rives gauche et droite de la vallée sont très différentes. Rive gauche, depuis le sommet de l’Estrop (2961 m) jusqu’au torrent des Eaux-Tortes, les Grès d’Annot structurent le paysage par leurs grandes dalles inclinées. En face, en rive droite, se dressent d’imposants reliefs calcaires aux grandes parois verticales appelés Petite et Grande Séolanes. Quelques ravins creusés dans les éboulis et plaquages glaciaires laissent entrevoir des alternances de couches marneuses avec des couches plus dures. Dans ce versant sont empilés plusieurs lambeaux de nappes. Certaines sont composées de Flysch à Helminthoïdes qui sont des dépôts rythmiques (de type turbidites) contenant des traces fossiles serpentiformes attribuées à des sortes de vers. Ce sont ces flyschs qui ont commencé leur « voyage » sous l’eau dès le Crétacé supérieur.

Liens avec les 22 autres sites, Grès d’Annot, Lac d’Allos, Riou Bourdoux

La dépression des Eaux-Tortes a été creusée par le glacier de la Blanche du Laverq. Un verrou glaciaire retient les eaux en amont. Du fait de la dureté des grès, la période glaciaire n’y a pas creusé de lac tel que le lac d’Allos, et le petit lac né de la fonte du glacier a rapidement été comblé pour donner un milieu tourbeux.

Au lac d’Allos, le pouvoir érosif du glacier a été facilité par la présence de terrains beaucoup plus fragiles au pied des Tours, qui elles sont en grès d’Annot. Ce lac, comme tous les lacs de montagne, est aujourd’hui en voie de comblement.

On retrouve le flysch à Helminthoïdes depuis le site de Pra Loup avec la vue remarquable sur le Riou Bourdoux et sur l’ensemble de la chaîne en rive droite de l’Ubaye. Les Terres noires (-170 à -155 millions d’années) de la vallée supportent la partie haute de la montagne où se développe un ensemble rocheux formé d’un empilement de petites couches plus claires : il s’agit de la nappe du Flysch à Helminthoïdes du Parpaillon.

Lien avec le paysage actuel 

La vallée doit son entaille profonde au glacier de la Blanche, affluent de celui de l’Ubaye. Elle garde les marques de son histoire quaternaire avec de nombreux plaquages et moraines glaciaires, des petits lacs, des tourbières, des verrous glaciaires et des roches moutonnées.

La tourbière des Eaux-Tortes est un espace naturel sensible. Elle héberge de nombreuses espèces rares, protégées, ou endémiques. Le site bénéficie d’un sentier de découverte.

Anecdote ?

L’abbaye du Laverq est remarquable par son histoire. Elle fut édifiée en 1135 par les moines défricheurs de l’ordre de Chalais qui suit la règle de St Benoit.

Composée d’un bâti assez bas aux ouvertures étroites et aux toits en bardeaux de bois, elle se remarque surtout par son clocher en pierre, aux lignes très simples et traditionnelles. Nichée au pied de la Grande Séolane, elle fait partie intégrante du vaste panorama de ce fond de vallée.

Elle fut, par la suite, rattachée à l’abbaye de Boscodon dans les Hautes-Alpes construite par le même ordre au XIIe siècle et aujourd’hui classée monument historique. Les moines bâtisseurs accordaient une importance forte à la symbolique des éléments. Cette abbaye a été implantée et orientée en fonction des rythmes du soleil, des cours d’eau alentour, de la présence d’une carrière de pierre (ni trop proche, pour respecter le silence sur le lieu de construction de l’abbaye, ni trop loin pour ne pas augmenter les contraintes d’approvisionnement), de la forêt, des hommes… L’importance des symboles se retrouve aussi dans la conception des bâtiments : répétition des éléments selon les chiffres clés (7 voûtes, comme les 7 jours de la semaine), rapports de proportions en harmonie avec le nombre d’or, etc.