Les Gorges du Verdon

« Une des merveilles naturelles de France… et de la Terre » (E.A.Martel)

Un maillon de l’histoire des Alpes …

Les déformations tectoniques liées à la collision se manifestent de plus en plus tardivement vers l’extérieur de la chaîne alpine. A la fin de l’ère tertiaire et au début du Quaternaire, entre -7 et -2 millions d’années, des plissements et des charriages déforment la région de Digne et du Verdon. Des ensembles sédimentaires et tectoniques se superposent les uns aux autres.

Les gorges du Verdon ont été creusées dans les massifs calcaires de la chaîne alpine déplacés massivement vers le sud au cours de cette période « mouvementée ». Les calcaires des gorges (datés de -150 à -135 millions d’années, Jurassique supérieur) ont donc participé à ce mouvement. Ils ont eux-mêmes été chevauchés par d’autres ensembles calcaires.

Dans son parcours vers la Durance à l’ouest, le Verdon s’est adapté aux déformations des massifs. Il a  creusé son lit au travers d’une énorme pile de couches géologiques avant d’atteindre et d’entailler les calcaires « inférieurs », ceux des gorges actuelles. Le travail d’entaille a été facilité et activé à un moment très précis dans l’histoire des canyons autour de la Méditerranée : lors de la crise messinienne.

Cet événement dramatique commence vers -6 millions d’années. Le rapprochement des plaques tectoniques de l’Europe et de l’Afrique entraîne le bombement de l’arc de Gibraltar et interrompt les apports d’eau de l’Atlantique vers la Méditerranée. La forte évaporation des eaux méditerranéennes n’étant plus compensée par cette alimentation, le niveau de cette mer baisse de 1500 mètres. Ce phénomène se termine il y a 5,3 millions d’années avec la rupture du détroit de Gibraltar. En effet, cet événement catastrophique réalimente la Méditerrannée en moins d’un siècle.

C’est durant cette crise que les fleuves et leurs affluents ont entaillé de profonds canyons pour rejoindre les points bas, comme la mer et les lagunes sur-salées. Lorsque la mer retrouve son niveau normal, l’érosion profonde n’a plus lieu d’être, les fleuves et les rivières perdent de l’énergie (pente moins forte) et déposent les matériaux transportés de moins en moins loin. Les canyons sont alors comblés progressivement (de -5,3 à -2 millions d’années).

Entre -6 et -1 millions d’années, ces événements majeurs, les chevauchements et la crise messinienne, se produisent simultanément et impactent le secteur du Verdon. Un réseau karstique (voir encadré sur le karst) aérien et souterrain s’est mis en place avec la crise messinienne. Il a évolué en même temps que se produisait la déformation des massifs calcaires, ce qui a obligé l’eau à forcer de nouveaux passages. Puis, pendant et après le colmatage des canyons, les déformations tectoniques alpines se sont poursuivies et le karst alors comblé et inactif (on parle de paléokarst) du Verdon a été affecté par des failles.

L’histoire des canyons méditerranéens ne s’arrête pas là. En effet, les périodes glaciaires du Quaternaire ont provoqué également des baisses du niveau marin de façon bien plus modeste que lors la crise messinienne, l’eau étant alors piégée dans les calottes polaires et les grands glaciers.

Les anciens karsts sont réactivés et déblayés de leurs sédiments. Dans les régions soumises à la surrection alpine, l’érosion y a été plus intense qu’en aval. Cela a favorisé le développement de nouveaux réseaux se superposant aux réseaux anciens et les recoupant. C’est très probablement le cas de l’actuel réseau karstique du Verdon.  

Le débat sur l’histoire messinienne  des grandes gorges reste ouvert et les géologues poursuivent leurs recherches en quête de  nouveaux indices.

Ce qui est certain, c’est que le paysage actuel des grandes gorges est un paysage jeune dont le dernier modelé est hérité de la dernière glaciation, entre -90 000 et -11 000 ans.

En savoir plus sur le karst

Le nom de karst se réfère à une région calcaire de Slovénie qui a servi de modèle pour décrire un certain type de paysage et d’aquifère. Les régions karstiques présentent des formes particulières d’érosion et de dissolution des carbonates (gouffres, galeries, réseaux souterrains, avens). Si en surface le manque d’eau est fréquent, elle est en revanche abondante en profondeur puisque l’eau circule dans les réseaux souterrains.

en lien avec 22 autres géosites : Les siréniens de Castellane, Clue de Sisteron, Eaux-Tortes

Les gorges du Verdon sont creusées dans des calcaires coralliens datés de la fin du Jurassique (il y a -150 à -145 millions d’années). A la même époque, au niveau de la future clue de Sisteron, l’environnement marin était plus profond. Aussi, les calcaires y sont  moins massifs etcontiennent de nombreuses ammonites.

Depuis le site des Eaux-Tortes, il est possible d’observer les épaisses barres calcaires des Séolanes. A l’instar du Verdon, il s’agit de calcaires récifaux. Mais contrairement à ceux du Verdon, les récifs des Séolanes ne sont pas restés « en place » depuis le  Jurassique supérieur.  Ils formaient à l’origine une plateforme récifale à l’est de la basse Provence. C’est l’histoire alpine qui les a conduits jusqu’en Ubaye !

Ce que l’on peut décrypter du paysage actuel

La route des crêtes et ses nombreux belvédères, le sentier Martel ou encore, pour les plus sportifs, la randonnée de l’Imbut, permettent de découvrir les grandes gorges du Verdon et ses fameux calcaires blancs de Provence… 300 mètres d’épaisseur de calcaires entaillés par le Verdon !

Sur ce site, les fossiles sont rares. Ils peuvent avoir disparu à cause de phénomènes naturels de type dissolutions et recristallisations.  Lorsque les fossiles sont préservés, on peut reconnaître des coraux de différents types (branchus, tabulaires…), des gros gastéropodes et lamellibranches.

Les calcaires du Verdon, vieux de 150 à140 millions d’années, ont pris place dans un environnement tropical. Ce sont des calcaires bioconstruits, c’est-à-dire que ce sont des organismes vivants, les coraux, qui les ont édifiés jusqu’à former une grande barrière qui abritait des zones de lagons. Ce type de récif est particulièrement favorable à la formation de massifs calcaires, que ce soit par l’accumulation et l’empilement des restes de coraux (squelettes calcaires) ou des restes d’autres organismes à squelettes calcaires (macro ou micro-organismes).

Une petite anecdote ?

Edouard Alfred Martel et Isidore Blanc, accompagnés de membres de leurs équipes respectives, ont été les premiers à explorer les gorges du Verdon dans leur ensemble en 1905.

Dix ans avant cette célèbre exploration, le pharmacien Gustave Tardieu faisait déjà l’éloge des gorges. Il fut le premier à les comparer au grand canyon du Colorado, et à donner le nom de « Styx » au redoutable et célèbre goulet qui débouche sur le chaos de l’Imbut.

L’exploration du Verdon menée par Martel ne s’est pas limitée au grand canyon. En 1905, ils explorèrent également une quinzaine de gouffres dont le Gros Aven de Canjuers.

Martel soulignait déjà l’importance du réseau karstique souterrain. Les eaux du Verdon, comme celles de son affluent l’Artuby, disparaissaient en certains points de leur lit. Ces pertes alimentaient en aval la résurgence de Fontaine l’Evêque. Elle est aujourd’hui comblée et noyée sous les eaux du lac de barrage de Sainte-Croix-du-Verdon.