Les Pénitents des Mées

Mémoire de galets, de la collision à la destruction

Un maillon de l’histoire des Alpes … 

Les chaînes de montagnes sont éphémères. Toutefois, la nature « ayant horreur du vide », un relief à peine formé a vocation à être arasé et un bassin à être comblé.

La jeune chaîne alpine en pleine surrection est alors soumise à une forte érosion. Les matériaux arrachés à la montagne sont transportés puis roulés par les rivières et par les fleuves qui les déposent en aval, soit dans une plaine soit dans la mer.

Les Paléo-Durance, Paléo-Bléone, Paléo-Asse, Paléo-Verdon, les ont abandonnés dans l’ancien golfe marin de Digne-Valensole. Ainsi, la ligne de côte a reculé vers le sud-ouest avec l’arrivée massive des apports détritiques. Le paysage s’est transformé en plaine deltaïque puis en vaste plaine alluviale loin de l’influence marine.

Ces volumes de galets, de sables et d’argiles ont formé l’énorme masse des conglomérats de Valensole, dont une partie forme l’actuel plateau du même nom. Si l’âge de la formation des conglomérats diffère d’un point à un autre, elle correspond dans son ensemble à une tranche de temps allant de -12 à -2 millions d’années.

Néanmoins, on distingue au sein de ces conglomérats, deux ensembles mis en place en deux étapes :

  • le premier correspond au remplissage du bassin marin puis continental (de -12 à -7 millions d’années), appelé Valensole 1,
  •  le second vient combler (de -5,3 à -2 millions d’années environ) les canyons formés lors de la crise messinienne (voir encadré). Nommé Valensole 2, il est emboîté dans le premier et le recouvre pour partie.

Aujourd’hui encore, les géologues ne s’accordent toujours pas sur l’âge du dépôt « des Pénitents» : est-ce du Valensole 1 ou 2 ?

Les Pénitents des Mées sont un véritable concentré de galets. Des stratifications et litages obliques sont visibles dans leur masse. Cette organisation est le résultat de la divagation des chenaux (sillons creusés par un courant) dans le lit majeur du fleuve et du transport-dépôt des galets par les courants. Les galets, parfois jointifs, sont liés entre eux par un ciment naturel peu abondant mais très dur qui confère à l’ensemble sa cohésion et sa dureté. Les conglomérats des Pénitents ont pris place dans des paléo-chenaux duranciens.

Le paysage d’aujourd’hui avec ses Pénitents aux formes coniques et aux crêtes aiguisées est le résultat:

  • du creusement de la vallée de la Durance actuelle durant la dernière glaciation (-90 000 à -11 000 ans) ;
  •  puis de son comblement lors de la fonte des glaces et la remontée du niveau marin ;
  •  enfin, de l’érosion des anciens dépôts conglomératiques, qu’ils soient anté- ou post- crise messinienne.

En savoir plus sur la crise messinienne et ses conséquences

Il y a 5,9 millions d’années, le rapprochement Europe-Afrique provoque la fermeture des zones de communication (Espagne-Afrique du nord) entre l’Atlantique et la Méditerranée.

La Méditerranée est alors coupée d’une grande partie de son alimentation en eau. L’apport des fleuves ne compensant pas l’évaporation, son niveau baisse rapidement de 1500 mètres, voire plus : c’est la crise messinienne.

Vers -5,6 à -5,3 million d’années, les fleuves s’encaissent profondément pour rejoindre le niveau de la mer devenu très bas. C’est la grande période de formation des canyons dans toutes les régions péri-méditerranéennes.

Il y a 5,3 millions d’années le haut fond de Gibraltar cède et annonce la fin de la crise. L’eau de l’Atlantique se déverse en cataractes dans le bassin semi-asséché de la Méditerranée. Le niveau de la mer remonte très rapidement, les canyons formés sont en partie ennoyés puis rapidement comblés de sédiments.

En lien avec 22 autres géosites : Vélodrome, Ubaye (Pra-Loup-Maurin), Grès d’Annot

Les conglomérats de Valensole, qui composent le plateau du même nom ainsi que les Pénitents et autres reliefs environnants, se sont également déposés dans une partie du Vélodrome. Ils y représentent la molasse jaune. Loin des grands axes de drainage, les dépôts y sont plus fins, souvent argileux, ce qui explique le caractère raviné du paysage.

Par ailleurs, les conglomérats offrent un magnifique échantillonnage de roches alpines. Certaines sont d’origine proche : comme les galets de calcaires jurassiques et crétacés (Sisteron, Digne, etc.),  de grès d’Annot (Haute Bléone, Haut Verdon, Allos…), de granites et gneiss du massif du Pelvoux (parent du Mercantour). D’autres sont d’origines plus lointaines telles que les péridotites serpentinisées, gabbros, variolites de l’ancien plancher océanique (Maurin et Chabrière en Haute Ubaye), galets de flysch à helminthoïdes (Laverq, Riou Bourdoux…).

La composition des conglomérats reflète celles des montagnes en cours d’érosion à cette époque (de -12 à -2 millions d’années environ) : toutes les grandes unités tectoniques ont pris place dans la chaîne alpine, il ne reste plus qu’à finir l’édifice…

Ce que l’on peut décrypter du paysage actuel

L’aspect spectaculaire du massif des Pénitents est à la fois dû à son découpage en lames et en promontoires pointus ainsi qu’au passage brutal de ses parois à la large plaine de la Durance.

Les Pénitents annoncent les plateaux et reliefs entièrement formés de conglomérats de Valensole et qui caractérisent  la  rive gauche de la Durance. La rive droite quant à elle offre un visage totalement en rupture (couleurs, formes, roches) avec les contreforts de la Montagne de Lure. On peut reconnaître une manifestation de la tectonique dans cette transition brutale. Sur des dizaines de kilomètres de long, une large bande faillée structure et découpe de grands ensembles géographiques et géologiques. Ce tronçon de la Faille d’Aix ou Accident médio-durancien, hérité de la fin de l’ère Primaire (-280 à -250 millions d’années) est toujours actif.

Cette faille sub-verticale matérialise la limite entre deux compartiments qui sont alternativement en relief ou effondrés (dite « faille normale ») ou qui coulissent horizontalement l’un par rapport à l’autre (« faille décrochante »).

 Le mouvement annuel moyen est infra-millimétrique. Toutefois, il se manifeste parfois sous forme de séismes lors d’un relâchement brutal des contraintes. A titre d’exemple, on rappellera les séismes qui ont marqué Manosque en 1509 et en 1708.

Une petite anecdote ?

Les Mées ou Lei Mèas, en Provençal, se prononce « Mès » pour parler comme les anciens. Cette prononciation originelle se perd toutefois au fil des décennies…

« Mées » le nom viendrait du mot latin « metae » cône, borne, pyramide et parfois attribué à un point haut, pointu, un repère visuel, comme les Mées de l’Estrop à plus de 2600m : il ne s’agit donc pas de « messes basses » !

Le site de l’Association des amis des Mées (http://www.lesmees.org) raconte la légende des Pénitents liée à la faiblesse des moines face aux belles Sarrazines. Par punition, Saint-Donat, l’ermite de Lure, les a pétrifiés en pénitents.

Ainsi, une nouvelle hypothèse sur l’âge des pénitents peut être envisagée :

  • Sachant que Saint-Donat est mort en 535, la pétrification des moines se serait donc produite un peu avant. Néanmoins, les Sarrazins étaient-il déjà en Provence au VIème siècle (ou plus tard au VIIIème) ?
  • Les Sarrazins ont  été chassés de Provence à la fin du Xème siècle ou tout début du XIème.
  •  Au XIème siècle, le nom des Mées était Metas : ce qui confirme la présence des pénitents dès cette époque et son antériorité probable.

 Une enquête plus poussée sur les Sarrazins et sur Saint-Donat est nécessaire mais ces premiers éléments de réflexion donnent une fourchette de temps entre le début du VIème et le début du XIème siècle pour la formation des pénitents par pétrification de moines.

Il se pourrait que les géologues et les  faiseurs de légendes ne soient pas d’accord… concernant le cas des Pénitents. Les contes et légendes donnent parfois de réelles informations sur des événements géologiques.